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Société moderne, Compétence émotionnelle et Traumatisation






Toutes nos expériences de vie sont caractérisées par des ressentis internes, des sensations, qui ont pour fonction de nous avertir de la nature de ce que nous vivons: le contexte est-il sécure et puis-je me détendre et m'ouvrir, ou bien, au contraire, y a t-il des dangers potentiels et dois-je rester sur le qui-vive?.


Une manière minimaliste de vivre les émotions


De nos jours, les réactions au stress existent pour les mêmes raisons que le programmait initialement l'évolution: pour nous permettre de survivre. La différence aujourd'hui, est que nous avons perdu contact avec les sensations qui sont censées nous avertir de dangers potentiels. Pourquoi est-ce que nous avons de plus en plus de mal à être conscients de ce qui se passe dans notre corps lorsque nous vivons des choses? En fait, nous les étouffons, à notre insu: la froideur émotionnelle est souvent l’éthique dominante du mode moderne, la compétition règne en maître (en dépit des progrès qui sont faits), les enfants se font souvent dire de ne pas être trop émotifs ou trop sensibles et la raison est généralement considérée comme l’antithèse privilégiée des émotions. Le monde occidental affiche une image lisse et "plate" émotionnellement, qui idéalement ne laisse rien paraître.

Le psychisme tout entier suit cette tendance qui lisse les émotions vers une ligne plate. Notre corps, lui, prépare une réaction de stress, mais notre esprit reste inconscient de la menace. Nous nous maintenons alors chroniquement dans des situations qui sont physiologiquement stressantes, mais sans en avoir réellement conscience. Si par le passé, les facteurs de stress les plus importants dans la vie étaient de l'ordre de la survie (manger, s'abriter, se défendre, etc), aujourd'hui ils sont d’ordre essentiellement émotionnel, avec des styles de vie et des patterns de réaction nuisibles à la santé.


Quand la compétence émotionnelle est compromise: l'impuissance apprise


Si nous ne sentons plus ce qui se passe dans notre corps, nous ne pouvons pas agir, et, dans ces conditions, la compétence émotionnelle est compromise…

Pour mémoire, la compétence émotionnelle implique:

  • la capacité de ressentir les émotions afin de pouvoir prendre conscience du stress que nous vivons;

  • la capacité de les exprimer efficacement et, ainsi, d’affirmer nos besoins et de maintenir l’intégrité de nos frontières émotionnelles;

  • la capacité de faire la distinction entre nos réactions psychologiques, qui sont pertinentes dans telle situation, et celles qui représentent des résidus du passé.

  • la conscience des besoins véritables qui doivent être satisfaits au lieu d’être refoulés dans l’unique but d’obtenir l’acceptation ou l’approbation des autres.

Donc, si nous ne savons pas bien ressentir, exprimer et différencier nos émotions, il se passe quelque chose dans notre corps en lien avec ces émotions, mais nous ne le comprenons pas. Nous vivons une forme d'impuissance, et l'on sait que l’impuissance, réelle ou perçue, est un déclencheur important de réponses biologiques de stress. "L’impuissance apprise", selon l'expression de Martin Seligman, désigne un état psychologique dans lequel on ne peut pas se sortir de situations stressantes, même si pourtant on en a physiquement la possibilité. C'est le cas par exemple lorsqu'on se retrouve coincé dans une relation dysfonctionnelle ou même violente, dans un emploi stressant ou dans un style de vie qui nous prive de notre véritable liberté.


Différents niveaux de vécu d'une émotion:


Le psychologue Ross Buck distingue trois niveaux de réponses émotionnelles, classés selon le degré de conscience que nous en avons. En effet, toute émotion appelle à être vécue dans son intégralité, aux niveaux physiologique, émotionnel et cognitif afin que son cycle soit complet et que le système psychique revienne à son niveau d'homéostasie.

L’Émotion III est l'émotion vécue dans son cycle total, physiquement, émotionnellement et cognitivement. L’Émotion II s’exprime par le langage corporel, sans pour autant être comprise par la personne qui l'exprime, comme si elle n'en était pas vraiment consciente. C'est le cas lorsque l'expression des émotions a été souvent réprimée ou inhibée au cours du développement par exemple.

Enfin, l’Émotion I désigne les changements physiologiques déclenchés par des stimulus émotionnels comme les décharges du système nerveux, les hormones sécrétées ou les changements immunitaires qui contribuent à la réaction de lutte ou de fuite devant une menace, Mais cette réaction n’est pas sous notre contrôle conscient et n'est pas observable d'un point de vue comportemental. Elle peut survenir en l’absence de toute conscience subjective ou expression émotionnelle.


Quand le lissage moderne des émotions devient traumatique...


Les émotions telles que nous les vivons dans le monde moderne occidental, lissées par les normes sociales qui se généralisent en standards de vie, laissent de moins en moins la place aux différences interindividuelles, à l'expression personnelle en dehors de ces standards. Ce qui faisait autrefois une "figure locale", ou bien une pensée originale et personnelle, s'éloigne sous le poids des médias, réseaux sociaux, et des modes de vie uniformisés, s'approchant du schéma selon lequel l'émotion est bel et bien vécue physiologiquement, mais elle ne va pas à son terme, elle ne boucle pas sa propre boucle, c'est à dire qu'elle ne s'exprime pas au dehors dans le corps ou le comportement, et elle n'est pas vécue subjectivement comme telle, elle n'est ni pensée ni métabolisée, étant bloquée et réduite à son strict minimum d'artéfact corporel inconscient.

L'équilibre psychique passe par la capacité à réguler son système nerveux en accomplissant jusqu'à son terme la boucle de la compétence émotionnelle. C'est ce dont manquent cruellement les traumatisés, soit parce qu'ils n'ont jamais appris à le faire en raison d'un environnement relationnel qui n'a pas permis cet apprentissage, soit parce qu'un événement brutal les a laissés dans l'incapacité à réagir, et que leur système s'est dérégulé.


Ce faisant, - et selon la célèbre parole de CG Jung - "tout ce qui ne remonte pas à la conscience revient sous forme de destin": toutes ces scories de l'invécu s'accumulent, aux niveaux individuel et collectif, et engendrent tôt ou tard un retour du refoulé...

Ainsi, le manque de compétence émotionnelle de notre monde moderne engendre, d'un point de vue biologique, une forme équivalente de traumatisation, par simple modèle social implicite.



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