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Alice, ou la peur du châtiment - thérapie du trauma complexe

Dernière mise à jour : 28 nov. 2023




Je souhaite raconter l'histoire de la thérapie du trauma complexe d'Alice, 40 ans, (bien évidemment ce n'est pas son vrai nom et j'ai changé des éléments de son histoire), en proie à des troubles anxieux depuis l'enfance, (de multiples TOCs, des tensions internes, des tics d'expression), des angoisses de mort et une peur du châtiment pour des choses qui ne sont pas de sont fait mais qui lui laissent une terreur d'être coupable quand même.

Derrière ces symptômes générateurs de grande souffrance et très handicapants au quotidien, elle a une personnalité ouverte et empathique et, tout son parcours, elle a montré beaucoup de courage et de force de travail.


L'anamnèse montre que la peur du châtiment qui occupe sans arrêt son esprit lui vient d'une mère bipolaire, comme "hors sol" par rapport à l'âge, aux capacités de compréhension et d'action de sa fille, et qui a depuis toujours posé des exigences impossibles à tenir. Rien n'était jamais suffisant, jamais assez bien; elle avait toujours commis une faute quelque part, depuis toujours. Durant ses phases dépressives, sa mère n'était pas en capacité de s'occuper de sa fille et l'envoyait pendant de longs mois chez une tante ou une grand mère, ce qui fait que l'enfant peine à développer une figure d'attachement préférentielle. La mère est également fréquemment rejetante et insultante avec elle. Le père, lui, est assez inexistant. Tous ces éléments, que l'on peut qualifier d'expériences infantiles adverses (ou ACE pour Adverse Child Experiences) constituent une base traumatique certaine pour le développement ultérieur de la personnalité d'Alice.

La petite fille développe de multiples peurs de mal faire, de se tromper, et, comme il n'y a aucune échappatoire (quoi qu'elle fasse elle est grondée et rabaissée), elle développe aussi d'importantes tensions internes. A l'école, elle est très tôt une victime désignée pour ses camarades, n'ayant aucun sentiment de légitimité pour se défendre ni aucun repère ou figure de sécurité parentale qui lui indiqueraient "le Nord". Elle se persuade chaque jour davantage que, à la maison comme à l'école, c'est elle qui est inadéquate.

Les décès de ses grands parents sont chaque fois vécus dans les hurlements et les tentatives de suicide de la mère. Alice ne tarde pas à développer des angoisses de mort.

Lorsqu'elle débute le catéchisme, le principal moyen de coercition utilisé par la mère, la grand mère et l'église, est la menace d'une punition divine et celle d'aller en enfer si elle venait à fauter.

Tout cela vient faire un beau mélange détonnant entre la conviction d'être toujours inadéquate et forcément en faute d'une part, et celle qu'un châtiment terrible viendra la punir pour tout ce qu'elle pense avoir commis d'autre part (il ne s'agt pas de délire, mais de distorsions cognitives relatives à l'auto-attribution de faits qui sont en réalité à un hasard malheureux)


Lorsqu'elle vient me rencontrer, Alice est comme une cocotte minute proche de l'explosion, prise en étau entre la peur permanente de se tromper à son travail et des châtiments qu'elle redoute. Les tics nerveux lui mangent le visage.


Le travail thérapeutique

Nous avons, dans un premier temps, visé à assouplir les symptômes anxieux en lui donnant un protocole de respiration en cohérence cardiaque, à faire chaque jour, comme un entraînement pour rétablir l'état d'équilibre et mettre davantage de cohérence dans le système nerveux autonome, et donc dans les émotions et le mental.

Je lui enseigne l'EFT afin qu'elle soit en capacité de se calmer seule lorsque le stress est trop fort. Nous travaillons également ensemble pendant plusieurs séances avec l'EFT afin d'assouplir ses croyances relatives à son inadéquation, sa peur permanente de l'échec et du châtiment, son sentiment de culpabilité.

Le but de ce travail est de lui redonner un peu de marge de manoeuvre dans le quotidien.

Cependant, malgré un soulagement notoire, nous butons toujours sur sa peur de ne pas être parfaite, savamment entretenue par un juge intérieur dur et cruel, ainsi qu'un sadique intérieur, qui ne manquent jamais l'un et l'autre, de lui montrer à quel point elle n'aura aucun droit au repos, à quel point sa vie devra toujours rester dans l'étroite bande de tolérance entre ce qui est parfait, mais qu'elle n'est pas fichue de faire, et ce qui est mal, dans quoi elle ne doit pas basculer. Elle vit comme condamnée à marcher telle une funambule, suspendue dans le vide, entre un sommet inaccessible et un pécipice mortel.

Si elles améliorent et assouplissent, les séances d'EFT ne sont pas suffisantes, quel que soit l'angle sous lequel on prend ses croyances.


Puisqu'elle est croyante, je lui propose de prier, non pas ce Dieu manichéen et prompt à punir, mais en plaçant dans son coeur l'intention de se relier à tout ce qui est invisible et inconnu qui peut être de nature à l'aider. Il s'agit de créer une ouverture, hors du petit monde intérieur connu des juges, des bourreaux et des châtiments,. Se relier à une dimension qu'elle ne contrôle ni ne maîtrise, ouvrir son coeur. Ce thème de l'ouverture du coeur peut faire ricaner certains de mes collègues psychologues, certains esprits chagrins, frileux ou étriqués, et pourtant je reste persuadée que la psychologie a là de beaux champs d'étude devant elle, et que c'est certainement l'un des facteurs les plus importants de résilience psychologique. De nombreux travaux américains l'attestent d'ailleurs, auxquels la France reste encore assez hermétique. Mais là n'est pas le propos, je m'égare... Alice met donc en place régulièrement une autre manière de se relier à elle-même, elle ouvre doucement d'abord simplement une nouvelle perspective dans son esprit, puis par son intériorité et son coeur, ce qui lui ouvre des perspectives intérieures différentes que celle du châtiment à éviter. Elle entrevoit de nouvelles voies plus lumineuses et heureuses, mais il va falloir oeuvrer pour que ces voies ne restent pas seulement entrevues, mais qu'elles se mettent à exister bel et bien, que ses voies neuronales puissent câbler une nouvelle expérience intérieure.


Puis, le temps vient de débuter le travail avec les différentes parties de soi que propose le travail de la Compassion. Nous allons aller les rencontrer, ce juge intérieur au visage sévère et émacié et son comparse le bourreau sadique, qui doit veiller à ce que les sentences du Juge soient bien appliquées. Nous allons aller les rencontrer avec le visage de l'Amour, qui est la perspective inégalée pour éclairer mieux que tout autre chose. Finalement, le Juge et le Bourreau perdent de leur force intimidante lorsque le Self compassionné, - noyau stable, permanent, le plus réel, le moins construit de la personnalité - leur fait face, le Soi coupable et le soi honteux commencent à retrouver davantage de légitimité, bien que timide. C'est finalement en allant chercher la petite fille qui souffre, cachée au fond d'un puits et résignée, que se fait la plus importante part du travail en termes de restauration narcissique et du sentiment de légitimité. Lorsque le Soi compassionné entre en dialogue avec ces parties tellement souffrantes, non seulement il les reconnaît, les légitime, les console, mais il les prend désormais en charge afin qu'elles ne se fassent plus "avoir" par ces figures qui ont tant effrayé Alice. Cette approche met en oeuvre des compétences de pleine conscience, qui encourage la désidentification des différentes parties de soi (ce n'est pas moi qui suis coupable, qui ai honte, etc, c'est une partie de moi , et je peux désormais m'identifier à une autre partie, plus adéquate, comme le Self compassionné, qui est ma partie stable, permanente, sage).


Aujourd'hui, Alice est moins harcelée par ses tyrans intérieurs; elle a commencé à les semer derrière elle. Lorsque le stress monte, loin de monter en pression sans plus pouvoir en sortir, elle a appris à voir quels étaient les deux chemins possibles: comme elle le dit, se présentent devant elle "la voie de la peur et la voie du coeur". La première l'emmène dans son "identité labirynthique", génère des ruminations et des anticipations anxieuses à n'en plus finir, et fait culminer ses rituels conjuratoires pour éviter les châtiments (TOCs). La voie du coeur, elle, implique qu'elle se fasse confiance dans les choix qu'elle pose, et qu'elle accepte de ne pas contrôler ni maîtriser les conséquences de tous les choix qu'elle fait, de tous les actes qu'elle engage. Le paradigme du coeur est radicalement différent de celui de la peur, en ceci que l'ouverture et la confiance qu'il exige envers les incertitudes de la vie témoigne en lui-même d'une capacité nouvelle à se faire confiance et à ne plus croire en sa propre culpabilité, en sa propre honte et en l'idée diffuse que quelque chose en nous ne va pas, et que nous sommes indignes et illégitimes.


Alice a fait part d'une persévérance et d'une détermination peu communes durant sa thérapie, et les beaux résultats sont là. Le chemin n'est pas fini, le Soi compassionné doit être encore nourri et consolidé afin de devenir fort et solaire, capable de prendre en charge un nombre croissant de schémas et de difficultés de la vie. La tolérance à l'incertitude, pour ne pas dire la confiance en l'inconnu, doivent eux aussi être encouragés, en faisant en sorte qu'Alice engage des actions dans la direction de ses convictions et de ce qui l'anime.

(l'histoire est inspirée d'une véritable personne, mais le prénom et les circonstance sont inventés)




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